Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
23 avril 2010 5 23 /04 /avril /2010 12:43

Il se regardait dans le miroir de la salle de bain. Il avait vraiment une tête à faire peur. Pas rasé, pas douché, il se passa la main sur le visage et se déshabilla. Ses vêtements tombaient là où il les lâchait. Il entra dans la douche et fit couler l'eau la plus chaude qu'il pouvait supporter. Il se plaça sous le jet et se savonna énergiquement, comme si le fait de se laver pouvait faire partir tous ces souvenirs douloureux. Il savait que c'était peine perdue.

Un jour il l'avait trouvée roulée en boule sur le canapé. Elle avait pleuré visiblement, et quand il s'approcha et lui demanda ce qu'elle avait, elle lui tendit, pour toute réponse, un petit bâtonnet de plastique, à peine plus grand qu'un stylo.

« -C'est quoi?

-Tu te fiches de moi?

-Non, je veux savoir ce que c'est!

-Tu ne vois pas là, les deux traits roses?

-Oui eh bien c'est deux traits roses, qu'est-ce que ça fait? » Et comme elle le regardait d'un air consterné il comprit.

« -Un bébé? On va avoir un bébé?

-Je vais avoir un bébé. J'ai été faire une prise de sang, je suis enceinte d'un peu plus d'un mois.

-Tu veux dire qu'il n'est pas de moi?

-Je veux dire que j'en sais rien! Comment veux-tu que je le sache? Je me dégoûte! Comment j'ai pu faire ça? Comment tu as pu me laisser faire ça?

-Doucement calme-toi, il est au courant?

-Non je ne lui ai rien dit encore.

-Alors ne lui dit rien. Je sais que c'est mon bébé. Je le sens. C'est forcément le mien, d'ailleurs je suis sûr qu'il me ressemble déjà. » Elle s'était remise à pleurer, mais de soulagement cette fois et ils avaient fait l'amour, comme pour se prouver que l'enfant ne pouvait être que d'eux.

 

Il commençait à avoir froid, l'eau devenait de moins en moins chaude, il avait dû vider le cumul. Il arrêta le jet de la douche et se sécha rapidement. Il commençait à se dire qu'il fallait vraiment qu'il rentre maintenant. Il remit ses vêtements et sortit de la salle de bains. Il attrapa la poubelle qui traînait toujours devant la porte et sortit de l'appartement. Il mit le sac dans la benne qui était sur le trottoir et se remit à marcher en direction de l'appartement de sa mère. Il faisait nuit noire à présent et il s'était mis à pleuvoir une de ces petites pluies fines et glacée d'hiver qui lui fit remonter le col de son manteau. Il accéléra le pas.

Il croisait des gens avec des parapluies qu'il était obligé d'éviter et se retrouva bientôt trempé jusqu'aux os. Il se souvint qu'il pleuvait aussi ce jour là. Il avait passé la matinée en rendez-vous avec son éditeur dans un bureau où les portables ne passaient pas. Il lui avait dit qu'il ne serait pas long, parce qu'elle ne se sentait pas très bien ce matin-là. Il pensait n'en avoir que pour une heure mais l'entretien s'était éternisé. A onze heure trente il avait refusé l'invitation à déjeuner et s'était précipité dehors pour l'appeler. En ouvrant son portable il reçut un message lui indiquant de consulter se boîte vocale, ce qu'il fit sans attendre. « -Allô, c'est moi, ça ne va pas. Reviens vite, si tu n'es pas là dans dix minutes j'appelle le samu. » Pris de panique il appela sa mère, lui demandant de se rendre d'urgence à la maternité, car il lui fallait une demi-heure pour la rejoindre. Quand il y arriva, il trouva sa mère dans le couloir.

« -Comment ça se passe?

-Pas très bien, ils ne veulent rien dire mais j'ai vu trois médecins entrer les uns après les autres.

-De quoi?! Il voulut entrer mais la double porte ne s'ouvrait de l'extérieur qu'avec un badge. D'énervement il donna un coup de pied dans la rangée de chaises qui s'éparpilla un peu partout dans le couloir. Une infirmière qui passait lui demanda de se calmer. Il lui hurla qu'il voulait savoir ce qui se passait, qu'il exigeait d'être présent, que c'étaient sa femme et son bébé qui étaient à l'intérieur. La jeune femme ramassa les chaises et lui dit de s'asseoir, qu'elle allait voir et qu'elle reviendrait lui donner des nouvelles.

Ce fut l'obstétricien qui vint. Et d'un regard il sut que c'était fini. Il se leva tandis que l'homme s'approchait.

« -L'accouchement s'est mal passé. Elle a perdu beaucoup de sang, sa tension est montée trop vite...

-Mais elle va bien? Ça va aller, non?

-Je suis désolé...

-Non! Vous n'êtes pas désolé! C'est faux! Maman dis lui!

-Je suis désolé Monsieur, mais c'est fini. Nous avons fait notre possible...

-Non! Elle n'est pas morte! Je... Elle n'est pas...

-Non pas encore. Elle a demandé à vous voir. Mais je vous préviens, il faut vous calmer. Si vous criez encore je vous ferai évacuer.

Il était entré dans la salle aux murs vert pâle et à la lumière glauque sur la point des pieds, respirant à peine pour étouffer ses sanglots. Elle était allongée sur le lit, des tuyaux et des machines lui sortaient du corps. L'infirmière qui était là arrêta le son des appareils et sortit en silence, les laissant seuls. Il s'approcha. Elle avait les yeux ouverts, elle le cherchait et il lui prit la main. Son visage n'était déjà plus le sien, elle ne ressemblait plus à le jeune femme qu'il avait laissée dans leur lit le matin même, à tel point qu'un instant il crut s'être trompé. Mais elle lui parla.

« -Nous avons un fils...

-De quoi?

-Un petit garçon. » Sa voix n'était qu'un murmure. Il dut se rapprocher pour l'entendre et se mit à lui caresser les cheveux. Elle reprit :

« -Écoute-moi, tu va prendre soin de lui d'accord?

-Bien sûr, qu'on va prendre soin de lui... Sa voix trembla. Il retint un sanglot.

-Non moi c'est trop tard...

-Non...

-Écoute-moi. Il s'appelle Hashem. Ça veut dire « Dieu à voulu » en hébreu...

-Hashem? Un fils?..

-Occupe toi de lui d'accord? » Il ne comprenait plus. Son cerveau refusait de comprendre. Elle sourit, puis elle ferma les yeux.

 

Il ne se souvenait plus ce qui s'était passé ensuite. Il revoyait sa mère avec un bébé dans les bras, la voiture, la maison... Il se souvenait comme elle sentait bon le soir où ils avaient dansé sur le trottoir, et puis il entendait les cris, les pleurs de cet être démesurément petit qui l'empêchaient de dormir, et que sa mère gardait dans la petite chambre qui servait auparavant de bureau. Un fils. Dieu à voulu? Quoi? Qu'elle parte comme ça? C'était trop injuste. Ils n'avait rien fait de mal! Elle n'avait rien fait de mal! Elle était partie et il n'avait plus rien. Le souvenir de son odeur et quelques photos... Rien... Le vide absolu qu'il tentait de noyer dans l'alcool et qui revenait l'envelopper tous les matins dès son réveil. Rien... Hashem... Elle avait laissé un fils. Cet enfant, c'était une petite part d'elle! C'était elle! Dieu a voulu...

 

Il s'était mis à courir. Il entra dans l'appartement de sa mère en trombe. Elle tenait le bébé dans ses bras, mais elle se faufila vite dans la chambre au moment où il arrivait. Elle savait qu'il ne supportait pas de le voir et encore moins de l'entendre. Il entra derrière elle. Elle se retourna, surprise.

« -Il pleure encore, désolée, je n'arrive pas à le calmer.

-C'est pas grave. Je peux le prendre?

-Quoi? Oui bien sur, c'est ton... Oui tiens, fais attention à sa tête... Il pleure toujours je ne sais plus quoi faire... Ça fait un mois que je ne dors pas... Voilà. »

Il avait dans les bras cette petite chose hurlante. Le nourrisson ouvrait grand la bouche pour crier. Ses petits bras étaient crispés dans l'effort du hurlement continu qu'il poussait.

« -Chut... Hashem... C'est fini. Papa est là... Chut... » Le bébé se calmait. Le cri strident se transformait peu à peu en pleurs humains, puis en sanglot. Il finit par ouvrir les yeux et plonger son regard dans celui de son père, qui s'était mis à pleurer. A travers ses larmes il voyait le regard scrutateur de son fils, ce regard intense que lancent les nourrissons à leurs parent. Le premier regard qui vous fait prendre conscience que vous n'êtes plus seul, que vous ne le serez plus jamais.

« C'est bien, mon bébé. Voilà c'est fini. Papa est là... On va rentrer à la maison. »

 

 

fin

Partager cet article
Repost0
9 mars 2010 2 09 /03 /mars /2010 18:26

Le lendemain de la première nuit qu'ils avaient passée ensemble, elle avait sorti une brosse à dent de son sac et était allée faire sa toilette dans la salle de bain. Il l'avait regardée faire, un peu étonné, et avait fini par demander :

« -Tu te promène souvent avec une brosse à dent dans ton sac?

-C'est pas une brosse à dent, c'est ma brosse à dent, et oui j'aime bien l'avoir quand je dors chez quelqu'un.

-Tu veux dire que tu... avais prévu de dormir là?

-Comment ça?

-Tu vois bien ce que je veux dire!

-Oui, je vois, mais on en avait envie autant l'un que l'autre, non? Alors pourquoi ne pas prendre ma brosse à dent? Une bonne hygiène buccale c'est important à mon avis, et j'ai une réunion en fin de matinée, je n'aurais pas eu le temps de repasser chez moi. » Il avait été sidéré. Il était plus habitué aux au revoir gênés du matin après le café, aux phrases un peu stupides qu'on dit dans ces cas là. « On s'appelle? » Alors qu'on sait très bien que c'est faux. Pendant une demi seconde il s'était demandé si de chasseur il n'était pas passé proie, et si en fin de compte elle n'avait pas un peu trop l'habitude de ce genre de situations à son goût. Elle l'avait vite détrompé.

« -Rassure-toi, c'est la première fois que je fais ça. Je n'avais encore jamais trompé aucun de mes fiancés. Peut-être que le moment était venu. » Pour quelqu'un dont c'était la première fois, il l'avait trouvée plutôt à l'aise.

Ils avaient continué à se voir de temps en temps. Un jour, peut-être au bout d'un mois ou deux, elle lui avait dit :

« -Je vais le quitter.

-Pourquoi?

-Parce que ça ne peut plus continuer comme ça. Je le trompe et il ne s'en rend même pas compte. C'est injuste, je ne pense pas qu'il le mérite, il est vraiment gentil tu sais.

-Et qu'est ce que tu vas faire? Vous habitez ensemble depuis un moment déjà.

-Je ne sais pas. Ça n'avance pas, on en est toujours au même point depuis un moment. Il ne veut pas se marier, et il est un peu hors du temps depuis qu'il a eu cette promotion...

-Viens ici.

-Quoi?

-Viens habiter avec moi, je suis tout seul ici, c'est mon appartement, je ne rend de compte à personne...

-Tu trouves pas que tu vas un peu vite? Tu me demande ça de but en blanc, il faut que j'y réfléchisse.

-Mais ce serait une bonne solution, non? Et pour tout te dire je crois que je tombe amoureux.

-Toi? Le grand prédateur? Tu tombes amoureux? Arrête un peu ton délire et viens m'embrasser avant que ça m'arrive à moi aussi. »

Ils n'en avaient plus reparlé. Du moins pas jusqu'au jour où elle avait débarqué avec sa valise deux mois plus tard. Deux mois durant lesquels ils s'étaient encore revus par intermittence. Elle habitait toujours chez son fiancé, mais elle était de plus en plus rarement à la maison. Elle disait qu'il se doutait de quelque chose, mais qu'il n'essayait même pas de réagir. Puis un jour elle lui avait annoncé qu'elle le quittait, qu'elle avait rencontré quelqu'un d'autre. Il lui avait demandé si il le connaissait et elle avait dit la vérité. Qu'elle l'avait rencontré lors de cette soirée chez ses amis, et qu'elle allait emménager avec lui. Elle lui avait dit que ça durait depuis plus de trois mois et qu'elle ne pouvait plus lui mentir, qu'elle préférait partir vite pour éviter de lui faire trop de mal, comme lorsqu'on retire un pansement d'un coup sec, en espérant que le douleur ne dure qu'un instant. Et comme ça elle avait débarqué un soir avec sa valise et elle était restée.

Partager cet article
Repost0
17 février 2010 3 17 /02 /février /2010 11:13

La première fois... C'était il y a presque un an... Il ralluma une cigarette, il fumait beaucoup ces derniers temps. Il buvait aussi beaucoup. Il ne se rappelait pas être allé se coucher la veille au soir, pourtant il s'était bien réveillé dans son lit. Sa mère avait encore dû l'aider à trouver son lit. Elle l'avait probablement déshabillé et bordé, comme presque tous les autres soirs depuis maintenant un mois. Elle faisait beaucoup pour lui, il s'en rendait compte, même si il n'avait pas l'air de comprendre ce qui se passait autour de lui et il lui en était reconnaissant malgré l'impression de vide qui l'envahissait, malgré le froid glacial qui l'entourait chaque heure de chaque journée. Elle avait toujours été là. Il se souvenait de son premier jour d'école, de sa mère qui regardait comme toutes les autres mères par la fenêtre pour voir où il était assis et si il avait bien toutes ses affaires. Il était fier, parce qu'elle n'avait pas pleuré. Lui non plus n'avait pas pleuré. Et peu importe si leurs yeux étaient encore rouges lorsqu'ils s'étaient retrouvés le midi. Elle était forte, la plus forte des mamans, avait-il l'habitude de lui dire. « Maman je t'aime parce que tu es la plus forte des mamans! » Et elle répondait qu'il était le plus fort de tous les petits garçons, et qu'ensemble ils pourraient traverser toutes les épreuves. Elle l'avait élevé seule. Son père avait disparu lors d'un voyage en Afrique, où il avait été enlevé par un groupe terroriste alors qu'il réalisait un documentaire. Il y avait eu un homme à une période, mais il n'était pas resté longtemps. Et de temps en temps elle regardait encore la vidéo que le journal lui avait envoyée, où l'on voyait son père souriant, parlant avec le guérisseur d'un village africain, faisant des gestes pour se faire comprendre. Les dernières images que l'on avait de lui.


Il était arrivé à son appartement. Il n'y avait pas vraiment vécu depuis un mois, à peine était-il passé quelques fois relever le courrier et écouter son répondeur. Il entra sans allumer la lumière. Il ne supportait plus cette lumière crue qui lui blessait les yeux. Il marcha sur un tas de journaux et de courrier qui était resté à terre, ramassa le tout et le posa sur le comptoir de la cuisine. Le cadran du répondeur indiquait « Er ». Il n'y avait même plus assez de place pour de nouveaux messages et il appuya sans remord sur la touche « effacer ». Il n'avait pas besoin d'écouter les messages pour savoir ce qu'il n'allait pas entendre. Il n'ouvrit pas non plus les lettres qu'il avait ramassées. Il les fourra dans sa poche. Il ne voulait pas rester trop longtemps dans cet appartement vide. Un peu de la lumière des réverbères dans la rue entrait dans la maison, et son œil fut attiré vers un point brillant sur le tapis du salon. En s'approchant il reconnu une des boucles d'oreilles qu'il lui avait offertes. Un tout petit saphir sur une tige en or. Elle ne supportait les boucles qu'en or, les autres métaux lui donnaient des allergies. Du moins c'est ce qu'elle disait. Il la soupçonnait d'en rajouter un peu pour n'avoir en cadeau que des bijoux dont elle même n'imaginait pas le prix. Il tenait le saphir dans la paume de sa main et tenta de repenser au jour où elle l'avait perdu. C'était un miracle qu'il n'ait pas été aspiré lors de l'une de ces séance de ménage intensif dont elle avait le secret. Il lui était arrivé de partir une matinée seulement, et de retrouver à son retour l'appartement plus propre que lorsqu'il l'avait acheté. Il n'avait jamais compris comment elle réalisait une telle prouesse, lui à qui il fallait déjà presque deux heures pour décider si oui ou non le salon avait vraiment besoin d'être dépoussiéré. Il se tenait là, debout au milieu du salon, la main ouverte sur le petit saphir qui brillait, quand il fut tout à coup pris de vertige. Il avait oublié qu'il fallait qu'il mange. Il mit la boucle d'oreille dans son portefeuille et ouvrit le réfrigérateur. Un odeur nauséabonde en sortit qui lui fit refermer la porte sans plus attendre. Il fouilla les placards et finit par trouver un restant de pain de mie, dont la teneur en conservateurs avait empêché la moisissure, ainsi qu'un vieux bocal de pâte à tartiner au chocolat, et entreprit de se faire un sandwich. Le chocolat avait un goût rance mais il avait à présent trop faim pour s'en soucier. Il dévora un, puis deux sandwichs. Il rangea le pot dans le placard et jeta le reste de pain de mie à la poubelle. Elle aussi avait une odeur insupportable. Il fit un nœud au sac poubelle et le plaça à côté de la porte. Il s'occuperait du réfrigérateur plus tard. Il ramassa les miettes sur la table et le jeta dans l'évier, puis il se rendit à la salle de bain. Il se lava les mains et son regard tomba machinalement sur les deux brosses à dent dans le verre.

Partager cet article
Repost0
16 janvier 2010 6 16 /01 /janvier /2010 18:13

Ils s'étaient rencontrés par hasard. C'est le propre des rencontres. A une soirée entre amis. Ils avaient tout de suite été attirés l'un vers l'autre. Elle était venue avec son petit ami, un type un peu effacé qui ne parlait pas beaucoup. Il l'avait invitée à danser, et c'était comme si ils se connaissaient depuis toujours. Il avait beaucoup bu ce soir là. Il se souvenait qu'il l'avait fait rire plusieurs fois en se disant « c'est dans la poche » et en se rappelant à chaque fois qu'elle n'était pas seule. A un moment où il était sorti fumer, elle était venue le chercher pour lui dire qu'on en était au dessert. Il avait répondu qu'il ne mangeait jamais de dessert. Elle lui avait dit qu'elle non plus, mais qu'il serait de bon ton de faire honneur au nougat glacé de la maîtresse de maison, surtout qu'elle avait l'air d'y tenir. Son ton désinvolte l'avait séduit définitivement et il n'avait pu s'empêcher de l'attirer vers lui et de la serrer contre lui. Elle s'était laissé faire et avait même refermé ses bras autour de lui. Il avait entonné une chanson à la mode, il avait une jolie voix et tout le monde était d'accord sur le fait qu'il chantait juste, et ils avaient dansé là, sur le trottoir devant la maison. Il la serrait de plus en plus fort contre lui et ça la faisait rire. Il s'était enhardit jusqu'à lui embrasser le cou. Elle avait un parfum entêtant, presque capiteux mais de très bonne qualité. Il imaginait un Chanel ou Dior. Elle s'abandonnait dans ses bras et il poussa les choses jusqu'à essayer d'embrasser ses lèvres. Elle eut un petit sursaut, lui fit sourit et lui dit qu'il ne fallait pas exagérer. Elle était ensuite rentrée sans se retourner. Il avait attendu quelques secondes, hébété, puis avait écrasé son mégot et était retourné s'asseoir à table.

Il s'était souvent demandé s'il avait rêvé ce moment, l'alcool aidant, mais elle avait confirmé les faits un peu plus tard :

« -Tu te souviens le soir où on s'est rencontrés? C'était nul cette soirée, je déteste les diners guindés, on a toujours l'impression de faire une gaffe.

-A vrai dire j'ai du mal à me rappeler de tout.

-Tu avais bu, c'est pratique les trous noirs quand on n'a pas l'habitude d'assumer ses actes.

-Tu crois que je le fais exprès? Je déteste ne pas me souvenir.

-Alors arrête de boire.

-Tu m'énerves.

-Je sais. Tu avais essayé de m'embrasser. Pourtant tu savais que je n'étais pas venue seule. Pourquoi tu as fait ça?

-J'étais bourré tu te souviens?

-La bonne excuse! »

Il n'avait jamais su lui dire pourquoi il avait fait ça. Probablement parce qu'il en avait envie c'est tout. Plus tard elle lui avait avoué que ça lui avait paru naturel à elle aussi. Un peu comme si elle l'avait toujours connu. Ils s'étaient revus quelques temps après cette soirée, ils s'étaient rencontrés par hasard dans la rue et il l'avait invitée à boire un café. Son petit ami était en déplacement, elle était toute seule à la maison. Ils avaient discuté pendant des heures puis étaient allés au cinéma voir un film un peu bizarre. Le lendemain il l'avait rappelée et elle était venue chez lui. Ils avaient pris un café et avaient encore discuté. Enfin il avait beaucoup parlé et elle l'avait écouté. Il avait reçu un film le matin même et il voulait le voir avec elle. Ils s'étaient donc installés sur le canapé et avaient visionné deux heures et demie de délire à la Herzog. Deux heures et demie pendant lesquelles il avait petit à petit passé son bras autour d'elle et où elle s'était rapprochée jusqu'à se retrouver blottie contre lui. Ils n'avaient même pas enlevé le DVD du lecteur. Il avait passé sa main sous son chemisier et avait entrepris de lui caresser le ventre, remontant lentement vers ses seins. Elle s'était laissée faire, elle qui détestait qu'on la touche de cette manière. Il la chatouillait un peu mais au lieu de sursauter comme à son habitude, elle poussait de petits gémissements qui le mettaient dans un état d'excitation formidable. Leurs lèvres s'effleuraient à peine, moins par pudeur que par souci de maintenir une tension constante. Elle avait adoré la douceur avec laquelle il l'effleurait, alors qu'elle pouvait sentir sa force quand il lui agrippait le poignet. C'est ce mélange de force et de douceur qui l'avait fait succomber. Ce juste équilibre qui pouvait basculer d'un moment à l'autre, mais qu'il avait su maintenir assez longtemps pour qu'elle en oublie tout le reste, son petit ami, le diner qu'elle avait prévu avec des amies et sa réunion du lendemain. Quand la sonnerie du téléphone avait retentit son chemisier était complètement déboutonné! Ils s'étaient regardés avec l'air de se réveiller d'un rêve étrange qu'ils auraient fait à deux et il avait décroché, plus par réflexe que par envie.

« -Allô?.. Oui... Non, non c'est bon... Quand ça?.. Ce soir je peux pas j'ai un truc à faire... Un truc, j'ai une vie aussi!.. Non d'accord... A plus tard maman... Oui moi aussi... Moi aussi je t'aime!.. Bisous. -C'était ma mère désolé.

-Tu lui dis je t'aime? C'est mignon.

-Pas toi?

-Non dans ma famille on n'est pas très sentiments...

-C'est dommage... Dans la mienne on aime bien l'action aussi. » Et il s'était jeté sur elle, l'avait embrassée passionnément, avait fini de lui enlever son chemisier et l'avait portée dans sa chambre où ils avaient fait l'amour pour la première fois.


Partager cet article
Repost0
4 janvier 2010 1 04 /01 /janvier /2010 17:10

B'Ezrat Hashem

(Si Dieu veut...) 2ème partie



« -Mais c'est ça justement! Lui répondait-elle. L'aventure, le fait que ce soit impossible, le rêve! Tu es trop terre à terre, tu ne vois que les faits. Tu avais plus d'imagination avant. » C'est vrai qu'il avait plus d'imagination avant. Il en avait plus qu'elle en tout cas. Ou peut-être qu'il avait plus de facilité à exprimer ses idées. Elle disait toujours que travailler avec des ados l'avait amputée de soixante pour cent de son vocabulaire. Être bilingue aussi. « Mon cerveau n'est pas aussi extensible que le tien » avait-elle l'habitude de lui répéter. Lui pouvait passer des heures à étudier et elle regrettait de ne pas avoir eu la chance de pouvoir en faire autant. Il tenta de refouler ses pensées. Il en voulait aux deux filles de l'avoir replongé dans ce passé qu'il croyait enfoui. Il allongea le pas pour se réchauffer un peu. La nuit commençait à tomber et les lampadaires s'allumaient sur son chemin. Il traversa le parc et se retrouva sur le trottoir. Il alluma une nouvelle cigarette et continua à marcher en direction du centre-ville. Il croisait des couples à moitié enlacés pour se tenir chaud. Il faisait un écart pour les éviter chaque fois qu'il arrivait à leur hauteur. Les voitures ralentissaient en arrivant au feu rouge et il pensait qu'il aurait pu prendre la sienne. Il se sentait fatigué tout à coup. Ses épaules étaient lourdes et sa tête commençait à lui faire mal. Il fallait qu'il mange un peu, le café et la demi tranche de pain de mie qu'il avait ingurgités sans y penser ce matin étaient éliminés depuis longtemps. Autant rentrer maintenant. Il prit la première rue à droite pour échapper un peu au bruit de la circulation. Sur un lampadaire était accroché une affiche cartonnée qui faisait la publicité d'un cirque. L'image du clown hilare lui sembla ridicule. Il s'était toujours demandé comment les clowns faisaient pour rire sur demande. C'était vraiment un métier bizarre, se déguiser avec des chaussures bien trop grandes, un maquillage atroce et un nœud papillon démesuré qui pouvait lancer des jets d'eau aux curieux. Ce qu'il trouvait le plus absurde, c'était que ces personnages, qui étaient censés faire rire les enfants, avaient l'effet inverse dans la moitié des cas. Lui-même avait peur des clowns quand il était petit. Pas vraiment peur en fait, mais ils le mettaient mal à l'aise. Un jour ils avaient eu une discussion au sujet des clowns, mais il n'arrivait pus à se rappeler de quoi ils avaient autant ri. Il avait posé une question du genre comment font les clowns si ils dépriment au moment de rentrer en piste, et elle avait dû répondre un truc du genre « Ils se regardent dans le miroir! » et elle était partie d'un de ses fou-rires incontrôlables qui lui faisaient dire qu'elle était folle.

« -Mais si, réfléchis! Si tu déprimais, ça ne te ferait pas rigoler de voir une tête pareille dans le miroir?

-Ça me ferait plutôt pleurer en fait je crois.

-Alors là on aurait un problème. Je ne veux pas d'un clown qui pleure! Il faudrait que tu échange ton rôle avec le clown blanc.

-Et si on était déjà maquillé tous les d..? Tu me fatigues à me mettre en scène! Et si les deux étaient déjà maquillés et costumés? Imagine les enfants dans le public, ils s'attendent à voir un truc drôle, et ils vont voir deux clowns qui pleurent. C'est un motif de renvoi, non?

-En même temps je me dis que si on veut vraiment sourire, on y arrive toujours.

-Tu dis ça parce que tu n'as pas de raison de pleurer.

-Je n'ai pas de raison de pleurer puisque j'arrive à sourire! Le jour où je ne pourrai plus, alors peut-être que je me mettrai à pleurer. En attendant tu me fais pleurer de rire avec tes questions stupides! » Et elle s'était essuyé les yeux du revers de la main. Elle faisait souvent ça, pleurer de rire. C'était complètement incompréhensible pour lui. Il pleurait quand il était triste ou quand il regardait un film vraiment bouleversant. Il avait déjà pleuré devant un documentaire sur la Russie, parce que l' « héroïne » avait été assassinée. Elle pouvait pleurer de rire parce que sa sœur, quand elles étaient plus jeunes, avait renversé un plat de pommes de terres, et que l'un des légumes avait été coupé en deux par le bord du plat qui s'était retourné. Elles avaient imaginé l'autre moitié toute seule sous le plat à l'envers, et avaient piqué un fou rire à s'en asseoir par terre et courir aux toilettes. Tout simplement irrationnel.

Partager cet article
Repost0
19 décembre 2009 6 19 /12 /décembre /2009 18:14

B'ezrat Hashem

(Si Dieu veut...) 1ère partie

 

 

 

Il était assis sur un banc, le col de son manteau noir relevé, les coudes sur les genoux, regardant les canards qui passaient sur le ruisseau. De temps en temps il portait à ses lèvres la cigarette qui se consumait lentement. Le vent froid de janvier se prenait dans ses cheveux bruns et en soulevait quelques boucles. Un couple avec un petit garçon passa derrière lui, mais il ne les entendit pas. Il ne voyait que les quelques col-verts qui nageaient, cherchant du bout du bec les miettes qui pouvaient encore flotter à la surface. Son téléphone sonna. Il ne l'entendit pas, ou fit mine de ne pas l'entendre. Il se fichait qu'on s'inquiète, il était au dessus de tout ça. Après tout si on le cherchait vraiment, on le trouverait forcément là, alors à quoi bon répondre? Il jeta la cigarette qu'il avait fini de fumer et en alluma une autre. Le vent n'arrangeait pas les choses mais il finit par y arriver, et jeta l'allumette en direction des canards, qui se précipitèrent pour voir ce qu'on leur offrait au diner. Ils repartirent en caquetant, comprenant qu'on s 'était joué d'eux. La poche de son manteau se remit à vibrer et les premières mesures d'une chanson se firent entendre. Il faudrait qu'il change cette sonnerie. Il finit par sortir son portable. L'écran affichait « Maman ». Il affichait aussi « 9 appels manqués ». Il décrocha.

« -Ouais?

-C'est moi, où es-tu?

-Au parc.

-Depuis le début? On t'a cherché tu sais.

-Vous avez pas dû chercher longtemps.

-Rentre à la maison, il fait froid, la nuit va tomber. Et puis...

-Quoi?

-Je m'inquiète, tu n'es pas rentré manger, tu es dehors depuis ce matin.

-Quelle heure il est?

-Seize heure.

-Déjà?

-Alors tu rentres? S'il te plait je me fais du souci, tu vas geler au parc, rentre te mettre au chaud.

-Je verrai. J'ai besoin de réfléchir. Je te laisse, à plus tard.

-Attend!.. »

Il raccrocha. C'est vrai qu'il faisait froid, il pouvait le sentir maintenant. Ses doigts étaient engourdis et ses orteils avaient du mal à remuer. Il était resté cinq heures assis sur ce banc, à réfléchir à rien, la tête vide. Des centaines de pensées lui avaient traversé l'esprit, mais elles n'étaient restées que des bribes, des débuts d'idées qui refusaient de se former complètement, comme si une fois formulées elles allaient disparaître à jamais. Il voulait en garder le plus possible, ne pas oublier ce à quoi il pensait, parce qu'oublier c'était trahir. Il finit par se lever mais ses pieds engourdis le firent tituber. Il s'appuya sur le banc pour retrouver l'équilibre et commença à marcher le long du chemin. Comme il passait sur le pont, il croisa deux étudiantes qui le regardèrent furtivement. Après quelques pas une des deux jeunes filles se pencha vers son amie et lui murmura, assez fort pour qu'il l'entende : « Tu as vu, on vient de croiser Corto Maltese! » Évidement, avec son col relevé, ses cheveux en bataille et sa barbe de trois jours, il ressemblait au marin de bande dessinée. C'est ce qu'elle lui avait dit quand il avait acheté ce manteau. Tu ressembles à Corto Maltese. Elle avait tous les albums. Il n'avait jamais compris ce qu'il y avait de romanesque à être un marin pirate, qui passe son temps sur des iles ou sur des bateaux sans se changer ni prendre une douche.

« -Mais c'est ça justement! Lui répondait-elle. L'aventure, le fait que ce soit impossible, le rêve! Tu es trop terre à terre, tu ne vois que les faits. Tu avais plus d'imagination avant. » C'est vrai qu'il avait plus d'imagination avant. Il en avait plus qu'elle en tout cas. Ou peut-être qu'il avait plus de facilité à exprimer ses idées.

 

À suivre... (Si vous réclamez la suite! sinon tant pis.)

Partager cet article
Repost0